Éléments de la culture canine
Il serait inutile et prétentieux de ma part d'essayer de faire un cours complet.
Je vais simplement passer en revue les quelques points à partir desquels nous avons appris à éduquer ou rééduquer nos chiens (de famille) et les illustrer avec nos témoignages.
Presque tout le monde dira "Je le savais !"
Je savais aussi presque tout avant d'arriver chez André Escafre, mais je ne savais pas m'en servir.
Les auteurs des livres qui m'ont induite en erreur et les initiés de la filière canine qui m'ont donné de mauvais conseils prônaient une éducation par le jeu et basée sur l'idée que le chien doit être soumis. L'un d'entre eux avait même précisé qu'il devait se sentir à la dernière place de la maison. Les seules notions de culture canine mentionnées pendant les leçons de dressage étaient la hiérarchie et les comportements qu'il fallait adopter pour que le chien sache qui était le chef.
C'est souvent en faisant exactement le contraire que j'ai pu reconstruire Platon, un rottweiler catalogué HSHA (hyper sensible - hyper actif) qui a échappé de justesse à l'euthanasie.
La preuve : aussi longtemps que j'ai suivi leurs conseils, mon chien n'avait le droit ni de monter sur le canapé, ni sur le lit et son panier ne devait surtout pas se trouver à un endroit stratégique de la maison.
Je les ai appliqués avec une tolérance zéro et une telle rigueur que je n'aurais pas eu de problèmes s'ils avaient eu raison.
Par la suite, la complicité a permis cela :
Vous noterez que le canapé personnel de Platon (qui est devenu celui de Flore) se trouve devant la fenêtre qui donne sur la rue, il n'y a pas meilleur endroit stratégique.
Si je permets à mes chiens de monter sur le canapé ou le lit c'est parce que ça me fait plaisir. Si je leur demande de descendre, il n'y a pas de problème. Mais ce n'est pas une obligation ou un critère de bonne relation. Chacun choisit de vivre comme cela lui convient. Simplement, il ne faut pas que nos choix correspondent à des caprices que les chiens ne pourraient pas comprendre. Le canapé est interdit à mes chiens quand il n'y a pas le tapis dessus et ils le savent.
Je tiens à le préciser car ce genre d'autorisation est interdite avec certaines approches.
Il est évident que si on est incapable de demander au chien de redescendre c'est que quelque chose ne va pas.
Précisions au sujet de la vidéo qui va suivre :
Les chiens catégorisés sont tous mis dans le même panier. Je savais que si par malheur mon chien était impliqué dans une bagarre avec un autre chien ça serait lui le coupable même s'il était innocent.
J'ai donc filmé des dizaines de situations pour prouver qu'il n'était pas dangereux. La dernière séquence montre qu'il est capable de se contrôler même quand il y a de la nourriture en jeu car il reçoit son repas en même temps que les poules et que les poules reçoivent du jambon. Il n'est pas servi en premier. Il ne reçoit le reste de son repas que lorsque j'ai remis les poules dans le jardin et il attend sans avoir reçu l'ordre "assis" (Certaines personnes sont étonnées que je lui donne les morceaux de viande à la main, sans les déposer dans sa gamelle, cela m'arrive pour les repas sans légumes).
La hiérarchie
Souvent on se réfère aux loups (que de discussions lues sur des forums !), mais le chien de famille n'est pas un loup.
Dans une meute de chiens, il y a bien sûr une hiérarchie. Mais comme tous les individus appartiennent à la même espèce, il ne peut y avoir de malentendu. La discipline et la sérénité dans le groupe sont des éléments de survie. Tout se fait "bien". La nature a mis en place tout ce qui a fonctionné pour que les chiens vivant en meute puissent traverser les siècles, tout ce qui concerne la prudence, l'alimentation et la communication.
Quand il s'agit du chien domestique, il y a cohabitation entre des individus appartenant à deux mondes différents.
Le chien utilisé dans un but précis, pour un travail, s'adapte, reste à sa place et l'homme est satisfait. Je n'entre pas dans les détails, dans tous les domaines il y a de bons et de mauvais professionnels (certains chiens de travail sont plus heureux que des peluches teintes et déguisées, éduquées à la friandise). Le problème de hiérarchie ne se pose pas. L'homme commande et cherche à être obéi. Il ne veut pas savoir si ça fait plaisir au chien ou pas. Il emploie le ton et la gestuelle adéquats et le chien finit par savoir avec précision ce qu'on lui demande.
Autrefois, dans les villages, les chiens qui erraient la journée ne posaient pas de problème pour la sécurité des gens (je peux parler d'autrefois, ayant dépassé la soixantaine). Jamais on ne se précipitait pour aller caresser un chien qu'on ne connaissait pas. Les chiens considérés comme dangereux étaient enfermés dans les propriétés qu'ils gardaient, ils étaient dressés pour cela. De nombreux chiens étaient attachés à une chaîne toute leur vie. Ils s'adaptaient parce qu'ils n'avaient pas le choix. L'homme ne culpabilisait pas, la relation avec l'animal était différente. Pourtant, si la réputation de fidélité, de meilleur ami de l'homme s'est installée, ce n'est pas pour rien. André Escafre, qui a formé de nombreux maîtres-chien, disait que ce qui perdait le chien, c'était son affectivité.
En fait, l'homme ne mérite pas toujours le chien qu'il a. C'est ce que je me dis aussi en repensant à mes deux premières chiennes et je donnerais cher pour pouvoir tout recommencer avec elles. Elles étaient bien traitées, emmenées partout, mais je n'ai pas su apprécier certains cadeaux.
En tout cas l'élément qu'il faut retenir, c'est l'affectivité.
Le chien qui vit dans une famille a appris tout jeune chiot "des choses" dans sa meute, sa fratrie (si l'humain n'a rien faussé). Tout ce qui concerne la survie est "en place" dans son cerveau, la nature fait bien les choses. Il va observer... et choisir sa place en fonction de ce qu'il observe. Et ce qu'il observe ne lui indique pas forcément qu'il doit se trouver à la dernière place.
Les spécialistes du comportement canin que j'ai consultés et les éducateurs de l'école de dressage que j'ai fréquentée disaient : "il vous observe toute la journée, il n'a que ça à faire", mais en ajoutant que c'est pour essayer de nous dominer. On m'avait même demandé d'utiliser un paravent pour empêcher le chien de m'observer pendant que je préparais à manger... On m'a demandé de faire un câlin avec mon mari devant le chien... On m'a demandé de lui donner des caresses appuyées sur la tête, de lui donner à manger après moi... pour montrer que j'étais "le dominant". J'ai tout appliqué à la lettre. À la maison, tout se passait bien et il acceptait tout mais à l'extérieur il se retournait contre moi, déchirait mes vêtements à chaque contrariété (par exemple quand je ne voulais pas qu'il saute sur une clôture).
Verdict : mon chien était un dominant !
Les hommes sont souvent fiers d'avoir un dominant. J'en ai croisé plus d'un qui disait : "Attention ! le mien c'est un dominant !"... Je n'en ai jamais croisé aucun se vantant d'avoir un chien soumis !
La première chose qu'il faut savoir est que le chien défend ses égaux et ses inférieurs. Pas son "supérieur".
La deuxième est que le chien pratique la compétence situationnelle : ce n'est pas tout le temps le même qui commande.
En prenant en considération ces deux points essentiels et en ajoutant la notion d'affectivité, on comprend que le chien s'attribue une place dans la meute familiale en fonction de ce qu'il observe : il reconnaît la compétence de son maître qui le protège et qu'il protège en fonction de la situation ; il en fait de même pour les autres membres de son groupe familial.
Il est alors facile d'envisager une cohabitation passant autrement que par la domination et la soumission. C'est d'ailleurs pour cela que le courant passe souvent si bien entre lui et l'enfant.
Au lieu de penser qu'à certains moments le chien se comporte en dominant qui n'obéit pas, essayons plutôt de trouver ce qu'il a pu comprendre en nous observant, ce qui est à l'origine de ses initiatives.
Je le développerai quand j'aborderai la communication et l'éducation.
Notre objectif est de pouvoir compter sur le chien quand il est plus compétent que nous (détecter, prévenir, protéger) mais "avoir la main" quand il s'agit de gérer d'autres situations.
À certains moments, c'est à nous d'être le guide.
C'est là que la compétence est nécessaire et que l'incohérence est un obstacle. Dans notre monde, un chef peut être chef par son ancienneté ou son diplôme, sans pour autant être le plus compétent pour ce poste. Le devoir de désobéissance existe, mais difficile à défendre. C'est pareil pour le chien. On l'accuse de ne pas être obéissant, alors que le plus souvent il n'est pas bien mené. Le chien nous accorde la place de guide spontanément si nous la méritons, et nous n'avons alors besoin ni de leurres, ni d'autoritarisme, ni de collier électrique, ni de conditionnement pour nous faire comprendre.
Tous ceux qui utilisent ces accessoires avouent leur incompétence.
Je ne suis jamais devenue le chef de mon chien. Il m'écoutait pour me faire plaisir (l'affectivité !). Je pouvais lui demander des trucs idiots comme manger après les poules. Mais il savait que son repas, il l'aurait.
Les bonnes manières
Les habitudes canines ne sont pas toujours compatibles avec nos règles de savoir vivre.
Dans certains cas, nous imposons nos règles de civisme : un chien n'a pas à uriner n'importe où (par exemple sur le portail du voisin), il n'a pas à mettre son museau n'importe où, etc. (et bien sûr nous ramassons les déjections).
En dehors de ces règles de civisme, nous considérons que les habitudes canines sont des priorités et nous les respectons. Je le signale car elles sont souvent confondues avec de la désobéissance.
Vous comprendrez notre vision des choses avec certaines vidéos.
Les jeux éducatifs
Si la mère a la possibilité d'éduquer ses chiots sans être perturbée par les interventions humaines, ces derniers arriveront dans leur famille en connaissant les codes canins qui leur permettront de croiser et côtoyer leurs congénères sans problème.
Ce n'est pas toujours le cas et c'est une piste à ne pas négliger lorsque l'on cherche l'origine de certains troubles comportementaux (j'ai en mémoire une vidéo mise en ligne par un éleveur qui voulait sans doute démontrer des prédispositions au mordant).
Souvent, quand même, le chiot arrive avec tous les atouts canins. Et nous commençons avec de bonnes résolutions pour continuer son éducation et l'éducation par le jeu est une piste utilisée aussi entre humains. On se sent presque obligé de le faire vu le nombre de jouets soi- disant éducatifs qui nous sont proposés.
Mais nous oublions encore que chien et humain appartiennent à deux mondes différents.
Le jeu entre chiots comporte des phases souvent très courtes et dès qu'il atteint un seuil d'excitation, la mère (ou un autre adulte) intervient. Entre eux ils apprennent à contrôler leurs mâchoires, les cris sont des signaux interprétés ; ils apprennent à faire attention à l'adulte qui les observe car ils finissent par savoir qu'il y aura intervention s'ils dépassent une certaine limite. Ils apprennent donc aussi la prudence et la méfiance. Ils apprennent à tenir compte des signaux qui accompagnent les réactions provoquées par leur comportement. Une mère hyper active construira des chiots moins calmes qu'une mère "équilibrée".
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Réfléchissons à ce que NOUS lui apprenons en le faisant jouer.
En général, nous lui présentons le jouet qui couine en le faisant déjà couiner, et nous l'invitons à le prendre dans la gueule. Nous lui apprenons à mordiller, à continuer à le faire couiner, donc à ne pas s'arrêter. Nous rions, nous félicitons et il comprend vite que cela nous fait plaisir.
C'est exactement le contraire de ce qu'il avait appris avant, dans sa fratrie, dans son monde canin.
Nous l'excitons alors qu'il avait appris à s'arrêter avant d'atteindre un certain niveau d'excitation. Nous le lui reprenons, lui redonnons, en étant ravis que notre cadeau lui fasse tellement plaisir.
Au départ nous partageons un moment de bonheur. Les amis qui viennent le voir font comme nous. Ceux qui ont peur des chiens veulent tout de suite s'en faire un ami. Moi, cela me rassurait et me déculpabilisait car au moment où j'avais quitté l'élevage avec le chiot dans les bras, j'avais pensé que je l'arrachais à sa meute.
Tout cela nous fait oublier un détail important : le chiot a déjà appris à être attentif à l'effet de son comportement sur les autres : à se calmer ou à se mettre en soumission quand il reçoit certains signaux.
Ici, il se trouve en présence d'une autre espèce qui lui envoie d'autres signaux. Et il va aussi percevoir les messages chimiques, les regards, les petites manies... et il trouvera très agréable d'être excité.
La simple vue du jouet va représenter quelque chose d'important pour lui, déclencher un besoin. Il va le réclamer. Comment le lui interdire ?
Il y a aussi l'objet qu'on lance ou qu'on agite. Encore un jeu qui commence avec la main. La main devient alors la partie du corps qui attire l'attention du chien. Il va systématiquement l'attraper, la mordiller. Il va aussi la mordiller quand il sera stressé ou énervé ; ou pour demander à jouer. Vous pensez : "Il m'aime !", vous avez sans doute raison, mais vous êtes en même temps en train d'obéir et d'installer une addiction.
La corde à nœuds installera le plaisir de saisir et surtout de ne pas lâcher. Il ne comprendra pas que vous ne soyez plus aussi souriant devant un autre objet mou qu'il aimera mordiller ou tirer ; ou quand il aura envie de jouer à tirer sur la laisse pour que la promenade ne se termine pas.
Vous ne pourrez pas vous empêcher d'admirer sa force, ce qui ne lui échappera pas avec toutes les conséquences que cela entraîne.
Si c'est un chien de grande race, il risque un jour de prendre conscience du fait que le rapport de force entre lui et vous se modifie... en sa faveur. Vous arrêterez, mais comprendra-t-il ?
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Les jouets dits éducatifs ou ludiques inventés par les humains ne font pas partie de la culture canine. Non seulement ils sont inutiles, mais ils peuvent être nocifs pour l'équilibre du chiot et du chien à venir : les jouets mous et bruyants incitent à mordiller et à mordre, les cordes et jeux que l'on tient incitent à ne pas lâcher la morsure, les jeux que l'on jette et lance incitent à courir comme des machines derrière un leurre, et à nous commander quand ils rapportent l'objet ("eh, lance !"). Difficile ensuite pour le maître de maîtriser ou canaliser ces excitations qui deviennent de plus en plus importantes car cela devient une véritable addiction. On peut comparer cette emprise à celle du joueur de casino incapable de se maîtriser, obligé de se faire interdire de jeu pour retrouver santé et liberté.
Bien sûr, cette addiction frappera surtout les sujets ayant une fragilité à la base, mais quand le chiot arrive chez nous, nous ne savons pas comment il est, et il a d'abord besoin de calme et de sommeil.
Et puis, le chiot (grande ou petite race), incité à mordiller ces jouets mous et bruyants, que fait-il quand il mordille le bras ou la jambe d'un enfant qui crie parce que ça lui fait mal ?? il mordille un peu plus. Et plus il y a de cris, plus il est excité. Lorsque le chien grandit, on parle ensuite d'accident tragique...
Nous ne donnons pas de jouets mous, pas de pouic-pouic, nous ne prenons pas nos chiens pour des ramasseurs de balles à Roland Garros, et pourtant nos chiots ne s'ennuient pas (d'ailleurs, l'ennui est-il une notion animale ???).
En revanche, nous nous baladons avec nos chiots et nos chiens en liberté, nous laissons à leur disposition des ballons très durs, ou trop gros pour qu'ils puissent les mettre en gueule, nous jouons à cache-cache (ils sont très doués, ils apprennent vite à ne pas nous perdre du regard).
N'apprenons pas à nos chiens à mordre !
L'excitation et l'addiction que certains jeux et jouets installent, peuvent avoir des conséquences graves.
Éléments de langage et de communication
Je ne passe en revue que les éléments de communication humains/canins.
Il ne faut pas perdre de vue que le fonctionnement dont je parle n'est possible qu'avec des chiens à l'écoute, que l'efficacité est proportionnelle à la qualité de cette écoute et dépend de la relation au niveau du binôme maître/chien. En cas de rééducation, il s'agira de commencer par reconstruire la relation.
La liste de ces éléments est très courte : Les erreurs de compréhension sont surtout dues au fait que le chien ne sait pas que nous ne connaissons pas les subtilités de sa langue et qu'il agit comme si nous fonctionnions comme lui.
Nous sommes toujours attentifs aux grognements, aux aboiements, aux mouvements des oreilles et de la queue, etc., mais nous oublions les signes presque imperceptibles de la tête, du regard, les mimiques. Les chiens les observent entre eux et en tiennent aussi compte lorsqu'ils essaient de comprendre ce que nous leur disons.
Le chien interprète tous nos gestes et agit en conséquence. Il lui arrive donc de croire que certaines de nos gesticulations dues à l'énervement ou à l'indécision sont des indications volontaires de notre part et les "exécute". Nous ne remarquons pas que c'est nous qui le lançons ou l'arrêtons.
Parallèlement, comme nous n'avons pas l'habitude d'être attentif aux mêmes détails que le chien, à d'autres moments, nous ne voyons pas assez vite le détail qui montre qu'il a commencé à répondre à notre demande, parce que nous attendons une réponse plus évidente qu'un petit regard ou une amorce de déplacement. Or (surtout si nous sommes à portée de vue), il ne faut pas rater le moment où il manifeste l'intention de nous satisfaire et en tenir compte tout de suite en l'encourageant avec des mots ou avec notre gestuelle selon les situations.
Avec son fonctionnement canin, le chien attend une réponse à cet instant précis et s'il ne la reçoit pas, il "passe à autre chose". Cet instant correspond au regard qui indique qu'il se sent interpellé, à la tête qui se tourne dans la bonne direction, à la patte qui se soulève,... Avec notre fonctionnement humain, nous avons tendance à attendre qu'il ait fait au moins quelques pas.
Un autre fonctionnement canin qui nous déroute est l'habitude se s'arrêter pour renifler, marquer ou écouter. C'est strictement interdit et considéré comme de la désobéissance dans le cas d'une relation basée sur la soumission du chien. Nous ne voulons pas de ce genre de relation donc un fonctionnement canin n'a aucune raison d'être interdit, il est naturel. Ce n'est pas de la désobéissance. C'est une priorité. Nous acceptons donc d'attendre et nous reprenons la communication à zéro.
Cet extrait a été filmé en fin de balade et la batterie du caméscope s'est épuisée avant la fin de l'action (c'est regrettable car c'est le moment le plus important qui manque) : Chipie a reçu le gros bisou et les caresses bien méritées.
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Le refus d'accepter les priorités canines ajouté aux décalages décrits plus haut explique une grande partie des problèmes de communication entre le maître et le chien. Empêcher un être intelligent de se comporter de façon naturelle a forcément une incidence sur son état mental. Quand je suis arrivée chez André Escafre, mon chien avait perdu l'habitude d'utiliser son flair, un comble pour un chien ! (il ne l'a retrouvée qu'au bout de plusieurs années). Or si on veut qu'il soit capable de détecter un détail inhabituel, son flair est son premier outil.
LE REGARD
S'il remarque que nous le suivons du regard, le chien sait qu'il a capté l'attention et utilisera l'information. Dans certains cas, il va essayer de devenir le guide ou de nous faire changer d'avis. Il croira que nous sommes d'accord avec ce qu'il fait ou avec ce qu'il est en train de penser ou de ressentir. Il peut se tromper et par exemple s'imaginer qu'il a raison d'aboyer ou d'avoir peur. Nous appelons cela un renforcement négatif. Un renforcement négatif est consolidé par les mimiques et tous les éléments qui trahissent nos émotions.
Les aboiements intempestifs, certains mauvais comportements entre congénères sont souvent le résultat de renforcements négatifs donc de fautes de communication du maître.
Donner ou ne pas donner son regard est un message en soi.
Détourner le regard et partir permet de faire comprendre les expressions "c'est fini" et "tu laisses" et de nous rendre crédible et efficace quand nous les employons. Par exemple, si on demande au chien de laisser quelque chose, qu'il le fait mais qu'on regarde à nouveau la chose, souvent il pense que nous avons changé d'avis et y retourne.
Tourner la tête, se mettre de profil est à utiliser quand on demande au chien de venir à nous car cela correspond au contraire de "tu attends". Si nous ne le faisons pas, notre regard est en incohérence avec nos mots et le chien donnera la priorité au regard. Là aussi il sera accusé de désobéissance. Cette attitude permet en même temps d'observer discrètement pour ne pas rater un signe important (le chien le fait aussi).
Fixer du regard peut être considéré comme un affrontement. Évitons de le faire quand nous croisons des chiens, demandons aux gens que nous croisons de ne pas le faire, expliquons-le aux enfants. Quand nous participons à des rencontres avec des chiens, ne marchons pas droit vers eux, utilisons une trajectoire qui permet d'arriver de biais.
Fixer du regard peut aussi correspondre à l'interdiction d'avancer. La mère le fait pour apprendre aux petits à ne pas la suivre et rester seuls. Utilisons-le dans certaines situations et pour lui apprendre le mot "attendre".
Exemple :
Si nous demandons au chien de venir nous voir en le fixant nous lui posons un problème : nous lui disons une chose et son contraire.
Si pour venir nous voir il doit avancer en arrivant en même temps face à un de ses congénères, cela peut lui poser un problème canin qui l'emportera sur la demande humaine. Parler de désobéissance serait une erreur. Il suffira de vous déplacer un peu.
TOURNER LE DOS est très souvent utilisé entre chiens. Cela indique que la communication est complètement coupée, que celui qui tourne le dos ne changera pas d'avis.
C'est très efficace pour mettre fin à certains comportements particulièrement gênants, bien plus que de donner un ordre vocal ou de pousser un cri. Je pense aux chiens qui ont des poussées d'excitation. Il faut leur tourner le dos pour qu'ils perçoivent que cela ne nous intéresse pas et ensuite veiller à ne pas croiser leur regard sans parler, soupirer, rire fort ou nerveusement. Et ne rien dire après (ce qui aurait de fortes chances de les relancer).
Tourner le dos et ignorer
Comme le chien est très attentif à la direction du regard, pensons à nous en servir : par exemple si nous voulons que le chien aille à un endroit précis, après le lui avoir demandé, au lieu de le regarder lui pour vérifier s'il démarre, il vaut mieux fixer des yeux le point auquel il doit arriver.
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LES DÉPLACEMENTS, LES CHANGEMENTS DE POSITION
Tout comme ne pas donner son regard, ne pas suivre est un message clair pour le chien. Selon la façon dont les choses se présentent, il s'agira de changer légèrement de direction ou de rester sur place (faire la statue, en veillant à ne pas être pieds joints pour être plus stable au cas où le chien nous bousculerait). Parfois il vaut mieux carrément changer d'itinéraire, sans ralentir et sans se retourner (en faisant celui qui ne remarque pas pour ne pas lancer le chien ou ce que fait le chien pour attirer notre attention).
Se déplacer permet d'empêcher notre chien de s'ajouter dans une interaction canine sans être obligé de le rappeler. Cela permet aussi de le faire sortir de la mêlée si l'excitation commence à monter.
L'écartement
Lorsque nous sommes en train de discuter entre amis pendant que les chiens "jouent", si l'excitation risque de déclencher une bagarre, s'écarter en étoile permet de désamorcer la situation.
Cette excitation peut commencer à cause d'un enjeu, parce qu'un chien supplémentaire vient se mêler d'une explication ou veut satisfaire sa curiosité de plus près... le degré de fixation induit par l'enjeu aura une influence sur la capacité d'écoute des loulous.
Si la fixation est trop forte, le chien risque de ne pas voir que nous partons : il ne sera plus à notre écoute. Nous devons donc ANTICIPER et nous écarter à temps. Dans certains cas il faudra partir et rappeler en même temps (chien encore en rééducation, défaut d'anticipation, aboiements bruyants). Pour être défixé, le chien doit recevoir un message plus fort.
Nous parlons d'écartement en étoile parce que si deux maîtres partent dans la même direction en continuant à discuter, leurs chiens vont se retrouver ensemble et leur excitation peut être à l'origine d'un coup de dent perdu.
Éléments du contexte :
Retrouvailles au moment des vacances. C'est le début de la balade.
Deux chiens qui se connaissent très bien n'ont plus été en contact depuis presque deux ans : Bandit (Fox-terrier) et Tosca (Schnauzer géant). La vidéo n°2 vous permettra de comprendre pourquoi ils s'attardent particulièrement.
Darwin (Grand Bouvier Suisse) qui vit avec Tosca ne connaît pas bien Bandit, il remarque tout de suite l'intérêt de sa "grande sœur" pour Bandit.
Il ne connaît pas bien non plus Chipie (Fox-terrier), la petite sœur de Bandit, qui est très autonome.
Flore (Cane Corso) connaît tous les chiens. Elle a fait des progrès mais s'est montrée capable de monter très vite en excitation. Je ne veux pas qu'elle retombe dans ses vieilles chaussures.
Flore et Darwin s'adorent et ont l'habitude de s'éclater quand ils se retrouvent tous les deux.
Catchu (Akita Inu, le grand blanc) connaît tout le monde. Il est en longe parce que nous sommes dans un secteur où nous pourrions croiser d'autres chiens (sauvé par Dédé, histoire trop longue à raconter ici, mais sa maîtresse le fera plus tard).
Il est en longe mais sa maîtresse fonctionne en gestuelle.
Tous nos chiens sont à l'écoute, c'est ce qui nous permet de fonctionner sans parler (aux chiens).
Nous, les maîtresses, avons des automatismes d'observation et de déplacement. Nous discutons en étant à une certaine distance (c'est le début de la rencontre) pour pouvoir anticiper.
Tosca et Bandit se rejoignent tout de suite. Il est naturel que Darwin aille s'informer. Il est naturel que Flore ait envie de le faire mais cela ferait quatre chiens pour les premières informations. Donc je m'écarte.
La maîtresse de Darwin s'écarte pour ne pas se mêler de la communication. Darwin ne la rejoint pas instantanément parce qu'il prend d'abord le temps de s'informer un peu : c'est une priorité canine.
Tosca et Bandit pourraient continuer leur discussion. Mais tout en le faisant, ils sont à l'écoute de leurs maîtresses. On voit bien que Tosca serait bien restée un peu.
Si nous n'avions pas anticipé et s'il y avait eu une mêlée qui dégénère (que certains qualifieraient de bagarre... mais regardez comment ça se passe au rugby, au hand, au foot, ils finissent avec des contusions !) Catchu serait allé dire son mot. Sa maîtresse est donc allée très loin. C'est pour ça que j'ai du mal à capturer son image. Mais il est important de signaler sa présence.
Nous avons pu finir la balade en étant très proches.
Parenthèse :
On ne le répétera jamais assez : ce sont souvent de tout petits détails qui nous échappent, même quand nous essayons de nous contrôler, qui sont à l'origine des échecs. Le regard extérieur des amis est précieux. Il n'est pas rare que tous les autres remarquent "quelque chose" que nous sommes certains de ne pas avoir fait, ou vu ou entendu à cause de notre fixation sur un autre détail.
Le travail au niveau des appareils permet de fournir des exemples concrets.
Ici la chienne a envie de passer. Elle est perturbée parce que nous avons choisi de ne pas boucher le creux à l'intérieur du pneu. Cela pose un problème pour poser la patte. À chaque fois que la chienne revient, elle reçoit une brève caresse (= "Merci ..."). Si la caresse est trop longue, elle peut avoir envie de rester pour se faire caresser. Les personnes qui voient de loin pourraient penser que je la pousse pour la faire passer à tout prix. Si je l'avais fait, j'aurais pu me heurter à un refus. En réalité j'ai très bien guidé avec l'autre main et c'est ce détail qui a retenu l'attention de la chienne. La jambe mal placée aurait pu être considérée comme un obstacle : les années d'observation sur le terrain nous ont permis de voir que même un foulard qui passe devant les yeux à cause du vent peut arrêter le chien, ou que la laisse (portée en bandoulière) qui le touche peut être confondue avec un message.
LES POSITIONS DE BASE
Nous n'utilisons pas ce qui est traditionnellement appelé "positions de base" : assis, couché, debout, au pied, ni les ordres qui vont avec.
Ils sont incompatibles avec la relation que nous voulons avoir avec nos chiens.
Ils sont INUTILES lorsque nous avons installé une bonne communication.
Sur cette vidéo, la chienne qui n'est pas couchée attend-elle moins bien que les autres ? Et si elle avait envie de rester debout cela poserait-il un problème ?
À la place de donner un ordre, dans cette situation, on dit : "Tu attends, je reviens."
Avec des chiens n'ayant pas encore atteint ce niveau d'écoute, la maîtresse commencerait par s'éloigner en marchant à reculons (ce sera repris dans "les apprentissages").
Lorsqu'on a une vraie complicité avec un chien à l'écoute, les ordres sont INUTILES. Dans certains cas, ne pas avoir besoin de commander est important pour notre sécurité.
Voici un petit extrait d'une rencontre non souhaitable : le jour est en train de baisser. Donc ma chienne est plus proche que d'habitude (à d'autres moments elle va faire des petits tours plus loin).
Je marche lentement parce que j'espère pouvoir filmer les chevreuils ; je m'étais déjà arrêtée à deux reprises parce que j'avais cru apercevoir deux chiens et dans ce cas j'observe avant de les croiser (queues, attitude du ou des accompagnateurs, etc.) pour pouvoir anticiper si besoin est.
Mon caméscope me sert aussi de jumelles et la mise au point se faisant, je commence à penser que ce que je prenais pour des chiens ressemble à des sangliers.
Comme je filme aussi les fleurs, les oiseaux etc, ma chienne (qui vient d'avoir 2 ans) a pris l'habitude de s'asseoir pour attendre confortablement quand je m'attarde. Il y a un an, je l'aurais mise en laisse dès les premiers doutes.
Je pense que vous avez noté qu'elle m'observe.
Je ne mets pas la vidéo intégrale qui est trop mal filmée : je tremble, j'ai mal aux bras, le nombre de bêtes est supérieur à 2 et au fur et à mesure que mes yeux s'adaptent à la distance, je comprends qu'il s'agit de deux adultes avec des marcassins. Il y a un an j'aurais rebroussé chemin mais je risque de faire d'autres rencontres et la nuit tombe vite. Et j'ai confiance en Flore... et je suis un peu folle... (et protégée par le Dieu des Cons... aussi).
J'ajoute que j'ai les automatismes qui permettent de gérer les émotions. Quand Flore part, je m'arrête. Si je la suivais elle continuerait. En même temps je veille à ne pas la fixer. Je prends le temps de filmer parce que j'ai confiance.
Je suis obligée de répéter ma demande : c'est normal car elle est fixée sur ce qui l"intrigue et je répète jusqu'à ce que mon message atteigne son cerveau. C'est comme lorsque vous êtes concentré sur une occupation et que vous n'entendez le téléphone qu'au bout de la troisième sonnerie.
Si j'allais à sa rencontre pour l'avoir près de moi plus vite, elle pourrait penser que j'ai changé d'avis et repartir.
L'ordre "au pied !" peut être remplacé par "Tu restes avec moi ?"Le chien n'a pas besoin d'être collé à nous. Simplement il ne doit pas aller plus loin. Si c'était nécessaire je demanderais : "Flore, tu viens me voir ?" en restant sur place (car aller à sa rencontre ferait que c'est moi qui irais la voir) puis "c'est bieeen viens me voir", puis "tu restes avec moi ? c'est bieeen reste avec moi."
Cela ne signifie pas que nous ne leur demandons pas d'être assis ou couché pour pouvoir les soigner. Mais nous ne le leur apprenons pas en les soumettant. André Escafre supprimait la notion de soumission en faisant monter le chien sur une table pour lui faire comprendre le sens de "tu te couches ?".
Lorsqu'on a besoin de telle ou telle position pour soigner, il faut aussi veiller à ne pas faire face au chien déjà stressé, prendre le temps de caresser, de le laisser s'informer.
Le sujet sera repris dans les apprentissages. (vidéo prévue)
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LES MOTS ET LES EXPRESSIONS
Les mots et les expressions choisis ont été le fruit de nombreuses discussions.
Le ton employé, le petit mot en plus ou en moins, la micro-gestuelle qui les accompagne, ont des conséquences sur notre efficacité. André Escafre a longuement testé le fait de pouvoir garder ou pas "la" ou "tu" pour certaines expressions. Par moments il a tranché selon l'efficacité observée. À d'autres moments il a choisi ce qui était le plus logique.
Lorsque nous ne sommes pas assez précis pour le choix d'un mot, lorsqu'il ne nous convient pas, notre ton, notre conviction manquent aussi de précision. Certains trouvent que nous pinaillons. Mais nous avons pu le vérifier lorsque André Escafre organisait des stages avec ses amis allemands : la traduction littérale convenait rarement à cause de la musique du mot et il fallait chercher...
Voici la liste que nous utilisons pour gérer les situations.
Tu viens me voir ? C'est bieeeen viens me voir ! (il n'y a plus le "tu")
Tu attends ? C'est bieeeen attends
Tu attends je reviens C'est bieeeen attends
Tu restes ? tu restes avec moi ? tu restes avec X ? C'est bieeeen reste (avec moi, avec X)
Tu laisses ? C'est bieeeen laisse
Tu donnes ? C'est bieeeen donne
Tu portes ? C'est bieeeen porte
Demi-tour C'est bieeeen le demi-tour
La façon dont sonne cette phrase fait que si on n'ajoute pas "le" (qu'on entend à peine) le chien peut croire qu'il doit faire un autre demi-tour.
Le demi-tour remplace souvent le rappel : il permet de demander au chien d'abandonner une action sans le forcer à revenir jusqu'à nous.
Tu avances ? C'est bieeeen avance
Tu descends ? C'est bieeeen descend
Tu montes ? C'est bieeeen monte
Tu entres ? C'est bieeeen entre
Tu te couches ? Tu t'assoies ? pour soigner etc.
C'est fini !
Cette expression peut induire le chien en erreur : lorsque nous l'employons entre humains elle peut avoir de nombreuses nuances que nous comprenons entre nous. Le chien ne peut pas comprendre toutes les nuances, et il lui attribuera un sens qui correspondra au message gestuel qu'il recevra et qui devra être toujours le même. Le ton employé est aussi très important.
Lorsque nous disons "c'est fini" à une personne, dans certains cas nous vérifions si elle s'arrête ou nous contrôlons ce qui a été fait. Notre regard s'attarde sur le sujet.
Lorsque nous disons "c'est fini" au chien, nous devons penser : "la communication est terminée", exactement comme lorsqu'on coupe le téléphone. À ce moment, nous ne vérifions pas ce que fait notre interlocuteur, il peut faire ce qu'il veut.
Donc nous disons "c'est fini" avec un ton joyeux, une seule fois (pour terminer avec une note très positive) et nous tournons le dos en même temps et nous nous éloignons sans nous retourner tout de suite pour vérifier s'il a compris. Parce que si nous nous retournons, c'est que ce n'est pas vraiment fini. "C'est fini" ne signifie pas qu'il doit nous suivre, il peut nous suivre s'il en a envie mais il peut aussi rester.
Pardonnez-moi d'insister, mais c'est un automatisme très difficile à acquérir pour nous. Nous avons presque tous les réflexes de répéter cette expression deux fois et de tourner la tête pour vérifier. Il m'arrive encore de me tromper lorsque la situation est très stressante.
Le dire une seule fois (précédé de "c'est bieeen" lorsque c'est nécessaire) permet de faire savoir au chien que lorsqu'il entend ces mots nous ne serons plus à son écoute. Aussi bien quand il n'y a pas d'enjeu, que ça l'arrange ou pas.
On peut donc utiliser l'expression dans de nombreuses situations, en l'ajoutant à d'autres messages.
Je m'en servais pour empêcher mon chien de marquer aux endroits qui ne me convenaient pas (comme le rosier devant le portail de ma voisine) : quand il s'apprêtait à lever la patte, je disais "c'est bieeen c'est fini" (message oral) et je continuais à avancer sans le regarder, avec le même rythme (le fait que je ne le regarde pas était un message différent) et il me suivait automatiquement. Le même message reçu au même endroit a fait savoir que là il ne devait pas marquer.
On peut s'en servir pour que le chien cesse d'aboyer : il aboie pour prévenir qu'il y a quelqu'un, c'est son rôle. On va voir pour lui montrer qu'il a été compris, on dit : "c'est bien c'est fini" sans le regarder. Cela correspond à "merci de m'avoir prévenue, je prends la situation en main". Et on rentre.